Le chantier d'ITE en rénovation de la rue de la convention à Paris révèle une dynamique déjà largement engagée au sein du monde de la construction paille, à savoir de minimiser la part du bois. Il est vrai que les règles professionnelles de 2012 conduisent à fabriquer de lourds caissons en bois remplis de paille, et que les spécialistes de la construction paille ont de tout temps imaginé des solutions autoporteuses. Ce iatus masque l'urgence de travailler sur des solutions frugales avec moins de paille, moins d'enduit et une part raisonnable de bois.
L'ennemi de la paille est la laine minérale, pas le bois. Mais le monde de la paille compte parmi les pires critiques de la filière bois. Le bois n'est jamais assez local, toujours trop transformé, il contient parfois de la colle. A l'inverse, la paille est locale par nature, elle est même souvent bio, elle est peu transformée et elle apporte l'isolation essentielle au comportement thermique du bâtiment. Cette attitude fondamentale est d'autant plus compréhensible que jamais l'industrie du bois n'a mouillé sa chemise pour promouvoir la paille. Elle peut jouer les victimes, mais force est de constater que les règles professionnelles de la construction bois font un pont d'or à la laine minérale et pas aux matériaux associés biosourcés. L'industrie du bois et la filière de construction bois a longtemps raisonné "bois", même si les prescripteurs et certains constructeurs ne l'ont pas entendu de cette oreille. De fait, l'émergence de la filière paille doit tout de même beaucoup à des acteurs de la construction bois.
Afin de disposer d'un strapontin à la table de la construction française, la paille s'est forgée un corset dont elle a du mal à ressortir. Ainsi, la dimension des bottes traditionnelles est une sorte de standard alors que l'on sait bien qu'aujourd'hui, la paille est généralement récoltée en cylindre et doit donc être rebottelée. On comprend que le standard est utile, mais plus la filière avance et plus on se demande s'il ne serait pas temps de créer un standard "bâtiment" au lieu de ce standard agricole de plus en plus factice. Le corset se prolonge par l'épouvantail de l'incendie, contré par des épaisseurs d'enduit considérables. Il est vrai que cet enduit contribue à la stabilité de la paille autoporteuse, et on peut se réjouir que son application soit "socialement intense", autrement dit, fastidieuse et coûteuse, demandant un savoir-faire. Mais à quoi bon disposer d'un PV qui permet en principe de monter jusqu'à 50 mètres, avec un EI120, alors que les bureaux de contrôle auront tendance à demander encore un autre essai, par exemple celui qui manque encore, comme le suggère le spécialiste Olivier Gaujard, de l'incendie qui prend à l'extérieur ? Qui monte à 50 mètres en paille ? Bien sûr, on comprend que la filière soit littéralement poussée à cette extrémité médiatique, parce que l'urgence de la construction neutre en carbone ne semble pas empêcher les institutions de dormir. La filière, étonnamment soudée et solidaire, poursuit son bonhomme de chemin avec d'autant plus de cran qu'elle ne bénéficie guère d'aides, à la différence de la "filière bois" et de ses CVO et autres TA.
Il n'empêche que le choix de l'enduit est un choix contre la filière sèche. Il comporte aussi un problème spécifique qui est celui de la préfabrication. Sur les chantiers, l'option de préfabrication et celle du chantier forain se côtoient et c'est très bien. Le chantier forain est plus démonstratif, peut-être moins émissif, mais il comporte un talon d'Achille, qui est la présence de paille sur le chantier. C'est très dangereux et on ne peut pas imaginer comment cette technique constructive sortira de sa niche sans résoudre cette question. L'option de préfabrication enduite est adoptée dans certains cas mais il faut alors convoyer sur le chantier des éléments lourds et encombrants, tandis que l'enduit ne couvre toujours qu'un élément et pas la façade. Dans ce cas, l'élément est composé d'un caisson en bois, de la paille, de l'enduit appliqué et de l'écran thermique sur l'autre face. Cela est déjà pratiqué couramment, et les chantiers se multiplient à Paris.
Avec le chantier didactique de la rue de la convention, cet été à Paris, la filière paille a réussi un exploit. Le bailleur souhaitait faire avancer cette possibilité alternative, dans un cadre politique municipal tout à fait adapté. La filière a répondu présent en bloc. Monter une ITE en paille sur 7 étages n'est pas particulièrement compliqué, sauf que ça ne se fait jamais. Le président de RFCP, Benoît Rougelot, en a profité pour expérimenter sur deux niveaux une nouvelle façon de fixer la paille sans avoir recours au bois, en l'occurrence réduit pour le reste à des épines en contreplaqué. Les bottes sont sanglées à l'aide de produits standards de l'emballage. L'enduit épais d'un côté, et le mur maçonné de l'autre, assure la stabilité au feu.
Tout cela est innovant et vertueux, mais on bute tout de même sur plusieurs difficultés : la question de la présence de paille sur le chantier ; l'épaisseur de la solution, 40 cm, souvent rédhibitoire en zone urbaine, et carrément gênante en cas de traitement des baies ; le surdosage de l'enduit, sachant qu'on n'a pas besoin d'un EI120 mais d'un EI30.
Le chantier de la rue de convention est spectaculaire, instructif, innovant, il fera date. Nul doute que la filière paille soit obligée de susciter l'attention par des opérations spectaculaires qui contrent les idées reçues. On peut fort bien expérimenter une purification du bâtiment. Ne serait-ce que pour faciliter une prise de conscience. Elle mènera d'ailleurs vite à une remise en cause de la construction comme telle, et au démontage de l'axiome de la nécessité de bâtir. D'autant plus que la construction ne parvient pas à la neutralité carbone, loin de là. Mais à la suite de cette expérimentation puriste, l'enjeu principal est tout de même de développer des solutions économiques neutres en carbone, et vite. A terme, exclure les bois d'ingénierie mènera dans une impasse.ligée de composer avec les exigences délirantes d'un monde de la construction incapable de se réinventer. Mais il faut aussi que la paille progresse dans l'optique de devenir le standard de la construction, comme le bois. Dénigrer le bois et tout faire pour s'en passer sont l'ayatollah. Il est sans doute temps que les filières paille et bois se rapprochent pour développer des solutions biosourcées efficaces. Sachant qu'il est tout à fait loisible de trouver des solutions qui se passent de bois. Mais refuser le bois pour des raisons idéologiques est contre-productif. Le bois, en ce moment, n'est jamais assez vert. Et quand il l'est, la bêtise lui reproche encore d'être issu d'arbres que l'on coupe. Ce serait tout de même de bonne guerre que d'autres matériaux de construction, y compris les enduits, y compris les sangles synthétiques, soient passés au crible de la même manière.