Reconstruction de Notre-Dame : après l'échafaudage

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Fordaq JT
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Le démontage de l'échafaudage calciné s'achève, les entreprises souhaitant intervenir pour la reconstruction sont priées de se manifester, mais un grand flou subsiste quant à la façon dont la charpente et la flèche seront reconstruites, et si l'établissement public osera faire remettre en oeuvre 460 tonnes de plomb en couverture. Dans ce contexte, l'audition de l'association "Restaurons Notre Dame" et des commissions "Ressource forestière", "Scientifique Technique et Universitaire" et "Culture et Patrimoine mondial" par la Mission d'information sur la conservation et la restauration de Notre-Dame a eu lieu le 14 octobre dernier. Ce fut surtout l'occasion de comprendre un peu mieux le point de vue de l'association animée par Pascal Jacob.

Difficile de savoir ce qui se passe sur le front de la reconstruction de Notre-Dame, depuis que la nouvelle d'une reconstruction à l'identique est tombée début juillet. Les Compagnons du Devoir, soutenu par France Bois Forêt et son président Michel Druilhe, ont marqué apparemment des points grâce aux maquettes presque à l'échelle réalisée par les Compagnons sous la direction du jeune Arthur Cordelier, avec du bois de chêne fourni par FBF. La travée a été exposée à plusieurs reprises, y compris sur le parvis de Notre-Dame, et le choix officiel d'une reconstruction de la charpente à l'identique a sonné comme une consécration. On dirait donc que les Compagnons l'ont emporté dans leur approche qui utilise en principe du bois de brin vert avec des assemblages bois-bois, au plus proche de la charpente d'origine. Reste évidemment à trouver une solution pour la flèche, qui n'est pas une mince affaire.

Depuis l'incendie, France Bois Forêt a occupé le terrain dans le camp du bois, en proposant de fournir la matière première, puis en lançant avec les Compagnons cet extraordinaire projet pédagogique de maquette presque à l'échelle, dès l'été 2019. Seulement, FBF représente l'amont de la filière et l'aval voulait avoir son mot à dire. Face à l'approche des spécialistes de la restauration de monuments historiques, l'aval a voulu faire valoir son savoir-faire et ce point de vue s'est concrétisé par la création de l'Association Restaurons Notre Dame autour de Pascal Jacob. Fin 2019, une certaine ambiguïté planait quant aux intentions des uns et des autres, d'autant que l'on s'accordait sur un point commun, faire en sorte que la charpente soit reconstruite en bois. Petit à petit, une ligne de front s'est concrétisée entre ceux qui défendent le projet disons Cordelier, et l'Association qui veut laisser la porte ouverte au recours à des bois d'ingénierie. 

En juin dernier, l'Association a présenté un programme de recherche associant les grands établissements supérieurs de formation à l'ingénierie et à l'architecture du bois, soulignant le clivage entre l'amont et l'aval. Il était question entre autres d'étudier unilatéralement une solution qui permettrait à la charpente reconstituée de résister aux cyclones que le changement climatique nous réserve à court terme, une approche pas "à l'identique" qui remettait en cause de fait l'approche Cordelier. La situation était un peu cocasse car l'Association frappait à la porte de l'établissement pour se faire entendre et proposer ses services, alors qu'elle était reléguée dans la longue liste de celles qui aimerait bien contribuer mais auxquelles ont fera peut-être appel le moment voulu. Ceux qui défendaient une charpente en bois étaient inquiets de voir, au sein de la filière bois elle-même, une remise en cause de cette position fragile. 

A présent, le choix du bois (et du plomb !) est fait, les ingénieurs d'IBC ont apparemment pris leurs distances avec l'Association, mais cette dernière a eu l'occasion d'exposer ses points de vue auprès de la commission parlementaire dédiée. Ainsi, Frank Besançon a fourni des précisions quant au programme de recherche lancé, qui semble avoir abandonné l'idée des cyclones. Par contre, l'intervention de Pascal Jacob a précisé de nouveau un point de vue qui vise à préserver l'aspect "extérieur" en bois, mais permettrait de recourir à des bois d'ingénierie. L'intervention la plus intéressante était celle de Philippe Roux qui parlait au nom des charpentiers et mettait l'accent sur le fait que ce chantier démonstratif doit attirer les jeunes et que le métier de charpentier aujourd'hui ne se pratique plus à la doloire. Philippe Roux remarquait que même si on taillait la charpente sur le parvis à la doloire, les éléments seraient tout de même levés avec des grues modernes. 

Le point de vue de Philippe Roux rejoint la démarche actuelle de recensement des entreprises voulant intervenir sur le projet qui doit être une vitrine de savoir-faire. Possible que l'on reconstruise la charpente et la flèche avec des entreprises du patrimoine et des techniques spécifiques anciennes. En tout cas, il semble que les entreprises de charpente modernes ne soient pas vraiment conviées jusqu'ici autour de la table. Enfin, ce n'est pas tout à fait vrai car les travaux de renforcement ont représenté un extraordinaire chantier de charpente moderne, mais comme on était en état d'urgence, les travaux n'ont pas été attribués selon les règles courantes. Ce qui est appelé justement à changer une fois que l'échafaudage sera achevé, dans les jours qui viennent. Il y aura des appels d'offre, et les entreprises qui interviendront devront prendre leurs responsabilités. 

La commission parlementaire, qui commence à connaître son sujet, a déclaré vouloir avertir l'établissement de cette proposition de service de l'Association, soit forcer un peu la main à un établissement public qui jusqu'ici n'a pas ouvert la porte. Ce serait trop dommage de ne pas bénéficier du résultat des recherches scientifiques engagées dans différents domaines, sans qu'on sache trop pour l'heure avec quel financement, quel budget et quel délai. Le débat porte un peu sur la chose suivante : est-ce qu'une approche d'entreprise de monuments historique viendra à bout ou non d'un chantier complet de la taille de Notre-Dame avec la flèche en plus ? C'est vrai qu'une zone d'ombre subsiste et que la travée de Cordelier ne fait pas une charpente pérenne à elle toute seule. D'un autre côté, pour ce qui est du chantier, Philippe Roux a bien concédé que "si une femme met 9 mois à avoir un enfant, on n'y arrivera pas mieux en mettant 9 femmes pendant un mois". En d'autres termes, les effectifs sur le chantier seront nécessairement limités. 

Plus précisément, le débat semble porter sur la pérennité d'une charpente Cordelier face aux outils de calcul actuels. Un dialogue de sourd si l'on omet de préciser que l'Eurocode 5 ne prévoit pas ce type d'assemblage. Mais que la France dispose d'une longue expérience pratique en ce domaine. 

A présent, Pascal Jacob annonce qu'une autre fédération compagnonnique va présenter sous peu un chef d'oeuvre, soit une maquette au 20e de la charpente de Notre-Dame et sans doute aussi de la flèche, avec ses solutions à elle. C'est vrai que maintenant que le bois est officiellement retenu pour la charpente, tout le monde peut se relâcher un peu. L'esprit dans lequel se déroulent ces affrontements n'est pas vraiment serein mais ce n'est pas nouveau. Si on prend les choses par le bout positif, le camp de l'Association joue un peu le rôle de la cour des comptes techniques, de stimulant pour faire en sorte que le chantier se déroule au mieux et que malgré le dogme d'une reconstruction "à l'identique", on ne se retrouve pas dans 150 ans - quand la cathédrale aura les pieds dans l'eau - dans une situation analogue à celle générée par Viollet-le-Duc avec sa fameuse flèche. 

L'audition intégrale est visionnable sur le site des vidés de l'assemblée nationale.

 

 

 

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JulienMilcent
On avait les querelles de clochers...voici venues les querelles de flèches !