Hans Fahrni, au nom typiquement suisse également porté au siècle dernier par un champion d’échec, est entrepreneur de la construction au Gabon depuis 30 ans. De formation, il est charpentier, et en complément de ses activités d’entrepreneur tout corps d’état qui lui font actuellement construire l’ambassade de France du Gabon, conçue par Fabienne Bulle, Hans Fahrni a développé depuis 15 ans une activité multiforme de bois et de construction bois au sein d’Ecowood, allant du rabotage à la maison en bois en passant par l’aboutage et le contrecollage.
L’interdiction d’exporter des grumes lui semble juste : « Exporter une grume, c’est transporter sur des milliers de kilomètres 40 à 50% de bois qui ne servira à rien ». De fait, selon lui, l’interdiction d’exporter les grumes a permis au Gabon de multiplier par deux la valeur ajoutée de la filière bois : « Passer de la grume à la première exploitation, cela demande des investissements lourds, mais on ne fait en gros que doubler la valeur ajoutée, alors que si la filière de transformation se crée et qu’on utilise le bois pour construire, la valeur ajoutée est facilement multipliée par 10. C’est simple : auparavant, l’exportation de 2 à 3 millions de grumes rapportait 150 milliards. Si on arrivait à valoriser le bois par l’assemblage, le mobilier et la construction, on multiplierait la valorisation par dix, or, c’est exactement le montant de la recette pétrolière. Par ailleurs, plus on avance dans la valorisation vers l’aval, moins les investissements sont lourds, on va de plus en plus vers l’investissement humain ».
Vers la Haute école du bois
Pour autant, l’objectif d’aller vers le produit fini en bois, y compris en construction, en est encore à ses débuts : « Tout ce qui touche à la scierie et au déroulage est bien parti, mais dès qu’on assemble des éléments en bois, on a besoin d’une formation, qui n’existe guère ici ». Quand Hans Fahrni a démarré ses activités dans le bois, il a bientôt été question de réaliser une Haute école des métiers du bois : « Nous avons effectivement instauré un système de formation duale comme en Suisse, en association avec la Haute école de Bienne. L’idée était de former des charpentiers en alternance pendant 3 ans puis de leur permettre d’intégrer cette école pour devenir ingénieurs ou techniciens supérieurs, dans la construction ou dans les métiers de spécialité comme les menuiseries extérieures, un peu sur le même modèle que la Haute école de Bienne ». Les travaux avaient démarré il y a dix ans, d’abord comme bâtiment démonstrateur et surtout, ensuite, comme lieu d’enseignement pour améliorer l’offre de services dans le domaine du bois : « Malheureusement, en 2014, la chute des revenus pétrolier a obligé de réduire les investissements à un quart de ce qu’ils étaient et l’école n’a pas été construite. Cela dit, il est possible qu’elle le soit tout de même dans un futur proche ». L’école est construite à 50% et désormais, le projet a été repris par le ministère des eaux et forêts. Pour l’instant, selon Hans Fahrni, le Gabon compterait environ 40 charpentiers disposant d’une formation de base. Par contre, l’école a été dimensionnée pour accueillir 300 étudiants et diplômer 50 ingénieurs et 50 BTS par an.
Les Gabonais et le bois
Selon Hans Fahrni, « les Gabonais ont un énorme respect pour leur forêt et ils veulent la protéger : « La population est de deux millions pour une surface comparable à la moitié de la France, il y a assez de place et au Gabon, on n’abat pas des arbres pour gagner de la place. Même la culture de l’huile de palme, en fin de compte, ne prend pas le pas sur la forêt ». C’est la forêt africaine dont la plus grande partie est certifiée FSC, et l’objectif du gouvernement est de certifier l’intégralité d’ici 4 ans. Au Gabon, on estime que les gens du nord sont de bons agriculteurs, les gens du centre de bons forestiers et ceux du sud plus particulièrement doués pour le travail du bois. Cependant, pendant longtemps, il a été difficile de former des charpentiers, les jeunes voulaient devenir fonctionnaire, travailler dans les bureaux. Mais le changement de mentalité est en cours.
Essences
Au Gabon, il est possible de construire en Padouk, cet arbre qui en Europe sera réservé aux revêtements intérieurs d’auditorium. Le Padouk, selon Hans Fahrni, se colle très bien, « il a toute l’élasticité mécanique nécessaire ». C’est en Padouk qu’Ecowood vient d’achever une classe surélevée à 15 mètres du sol. Cette opération s’inscrit dans le projet Emeraude, réalisé avec l’Agence Française de Développement, y contribuent aussi, il s’agit de sentiers aménagés en forêts pédagogiques avec une salle de classe surélevée à partir de laquelle il est possible de circuler à la hauteur de la canopée. Le recours au Padouk contrecollé pour la salle de classe permet de réaliser un ouvrage fin et résistant : « Il existe environ 75 essences utilisables pour la construction au Gabon. Il y a aussi des bois plus durs que le Padouk, qui se collent bien et ont une excellente résistance, mais pour les travailler, il faut les dégraisser. Le Padouk est demandé à l’international et notre ambition, au Gabon, est de former un groupement d’intérêt avec les forestiers et l’ATIBT pour exploiter d’autres bois pour la construction. Pour cela, il faut d’une part que les performances du bois soient connues, mais il faut surtout que l’abattage de ces arbres soit inclus dans les plans de coupe FSC. Pour les Gabonais, peu importe si la maison est construite en Padouk ou dans une autre essence tout aussi utile. Mais il vaudrait mieux exploiter des essences qui ne sont pas utilisées, y compris afin de répondre à la demande de logements qui atteint aujourd’hui 200 000 unités ».
A Libreville, les passages piétons où deux poissons semblent s’embrasser sont également réalisés en Padouk : « Le projet a été d’abord conçu en bois, puis il a été question de le faire en béton, en acier et à la fin, ce fut de nouveau de bois. Les poissons sont un peu le symbole de la construction bois à Libreville, au même titre que l’ambassade de France ». Les deux poissons qui s’embrassent symbolisent le Gabon bleu de la mer et le Gabon vert de la forêt.
Ambassade de France
Il est possible que l’ambassade de France, conçu par Fabienne Bulle, anime le marché. L’architecte qui a traversé en France durant des décennies toutes les phases de la construction bois s’intéresse aujourd’hui, à Mayotte ou au Gabon, à des situations un peu analogues, tout en ayant le plaisir d’employer les bois tropicaux en tenant compte des possibilités de transformation.
A Libreville, le bâtiment habillé de bois est imaginé comme une sorte de poutre flottée. Le projet prévoit la construction d’un bâtiment de 2 600 m2 avec des locaux annexes et des places de stationnement. Les divers bâtiments seront construits sur un terrain de 13 000 m2. L’ensemble du site répondra aux exigences environnementales HQE Cerway. FACO Construction, l’entreprise TCE dirigée par Hans Fahrni, se charge donc du gros-œuvre, dont la particularité est un voile matricé de 17 mètres de haut, de l’étanchéité des toitures terrasses, des revêtements des sols et surtout des vêtures des façades, réalisées en Padouk lamellé-collé, et dont la seconde façade est en cours : « Il va grisailler assez rapidement, mais de façon continue. Il a fallu batailler pour l’emporter avec ce changement de teinte. Des échantillons ont été posés dans le jardin afin de convaincre le maître d’ouvrage quant à l’aspect final ».
Le club des charpentiers du Gabon
Hans Fahrni a déjà accueilli de nombreux charpentiers européens, ils ont même créé un groupe et le patron suisse est heureux de dire que tous ont ensuite réussi dans leur vie professionnelle. On peut le croire : qu’un Suisse ait le cœur aventureux pour venir au Gabon, y travailler et apprendre, et l’on se trouve avec une sorte de compagnonnage global particulièrement enrichissant. Cela dit, Hans Fahrni n’est pas un aventurier : « J’ai été formé comme charpentier et si je dis comment il faut faire, c’est que je l’ai fait moi-même. Ici plus encore qu’ailleurs, il faut connaître la pratique du métier ». Nul doute que les dernières réalisations, dont l’ambassade qui devrait se terminer avant la fin de l’année, vont attirer l’attention sur le Gabon, ses magnifiques essences et les possibilités qu’elles réservent pour une construction biosourcée de grande tenue. Au point d’essaimer ailleurs en Afrique. Mais voilà, tout comme en France, la construction biosourcée n’avance pas linéairement, elle coule sous le sens mais pour une raison ou une autre, les espoirs sont trompés ou reportés. La pionnière Fabienne Bulle montre en tout cas la voie d’une sorte de dialogue entre l’architecture biosourcée française et africaine.
Légendes, potos Ecowood : Passerelle à Libreville, salle de classe à hauteur de la canopée, chantier en cours de l'ambassade de France à Libreville.