Crèche modulaire démontable : l'enfance de l'art

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Fordaq JT
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Plusieurs opérations en bois sont en cours ou juste achevée pour la petite enfance, précisément dans le 12e arrondissement de Paris. S'y ajouteront bientôt, à travers la capitale, cinq crèches éphémères dont celle de l'hôpital Trousseau est la préfiguration et sans doute aussi la proposition la plus radicale. Cruard confirme son expertise dans le modulaire cousu main, tandis que le BE Ligot signe sa troisième opération, avant les 11 000 m2 d'un hôtel de standing et modulaire décroché dans le cadre du concours "Inventer le Grand Paris".

A19 Architecture n'est pas une agence spécialisée dans le modulaire, et encore moins dans le modulaire en bois. De sorte que le projet de crèche de plain-pied déjoue doublement la perception de la modularité. D'une part, en réhaussant les modules, allongés de surcroît par des acrotères en dents de scie, qui se fondent dans l'environnement campagnard que reflètera également le bardage. Pour autant, l'agence gagne le concours en répondant de façon particulière à l'attente de la mairie de Paris, qui demande un taux de réemploi de 70% des composants après 12 ans. Pour le bureau d'études Yves-Marie Ligot, un bardage démonté ne trouvera guère un nouvel usage et pour ce qui est des menuiseries, il faudra d'abord s'accorder pour les sortir du statut de déchet. La seule réponse logique à la demande justifiée de la mairie, c'est de livrer un ouvrage qui soit réutilisable comme tel ailleurs. 

La mairie de Paris veut construire des crèches mais manque d'espaces. Les grands hôpitaux parisiens en disposent parfois, d'où l'accord passé qui prévoit la construction provisoire de quatre crèches pour un bail de 12 ans. Pas sûr que les crèches installées dans le périmètre de ces hôpitaux seront effectivement démontées à cette échéance, mais au moins, la mairie ne veut pas s'exposer au reproche d'un gaspillage. L'équipe de maîtrise d'oeuvre autour de A19 remporte le concours et comme chez Coluche, gagnant puni, ne peut concourir pour les autres projets de crèche. De fait, il semble bien que les trois autres projets, plus la crèche hyper-éphémère du jardin du Luxembourg, seront essentiellement construites en approche 2D. Ce qui ne préjuge pas de la possibilité de leur réutilisation future, en principe.

A contrario, ce n'est pas parce qu'un ouvrage est modulaire qu'il est démontable. Cela dépend d'une part de la façon de l'assembler, et d'autre part de la manière dont on s'assure qu'il sera possible d'accéder aux assemblages pour un démontage non destructif. Il faudrait quand même que Cruard laisse son logo quelque part.

Cruard Charpente est entré dans le modulaire avec précaution, en réaction à l'offensive depuis avortée de Béneteau. Un peu comme CMB. Sans idéologie. Et plutôt avec une volonté farouche de survivre dans la période pas ancienne des vaches maigres, alors que l'entreprise de plus en plus spécialisée dans la construction bois alignéait des effectifs parmi les plus importants de France. De chantier en chantier, la griffe Cruard s'est affirmée. A l'hôpital Trousseau, les quatre compagnons savent exactement quoi faire. Quatre modules sont posés sur les micro-pieux le mardi 12, la pose du huitième s'achève le mercredi à 15h45 après une journée de prestation en direct devant un parterre de confrères de la maîtrise d'oeuvre. S'ajoute ensuite la pose des panneaux en CLT pour le couloir central et le retrait du chantier jusqu'à 20h-20h30, de quoi être à la maison pour la Saint Valentin.

L'équipe de maîtrise d'oeuvre a consulté trois entreprises, l'une voulait changer le gabarit. Cruard au contraire a été pro-actif, estime Yves-Marie Ligot, soulevant des questions que la maîtrise d'oeuvre ne s'était pas posée, acceptant la surélévation des modules et surtout disposant d'un local couvert pour pré-assembler les hui modules en Mayenne, sur le site de Cruard. Histoire de contrôler que rien n'a été oublié, notamment en matière de passage de câbles et fluides.

Le module Cruard, c'est un socle solide en BLC renforcé par deux solives dans le sens de la longueur, qui supportent un premier panneau, puis un isolant, puis un second panneau. Les murs sont à ossature bois, la toiture en CLT, sous isolant. Les modules reposent sur les platines des micro-pieux. Dans la halle dédiée, tout a été pris en compte ou presque. Petit détail, un micro-pieu sera déplacé pour l'éloigner d'un arbre, il s'agit en plus d'un élément modulaire polygonal, ça aussi, c'est dans les cordes de Cruard. Un polygone, c'est plus compliqué à assembler et aussi à transporter, il faut davantage de sangles et un palan. Le décalage du micropieu n'a pas été pris en compte dans le processus de sanglage et la sangle va laisser quelques traces sur le module, rien de grave, mais cela montre bien à quel point le modulaire doit être parfait. 

Pour ce qui est du transport par convoi exceptionnel, il fallait d'une part ne pas fixer les acrotères, car cela serait monté trop haut sur les camions pourtant surbaissés, sans compter la prise au vent. Et dans la largeur, comme les appuis de fenêtre dépassaient de 2 cm la largeur fatidique de 4 m, ils ont été démontés aussi. De même, l'isolant en laine de roche qui calfeutre les modules entre eux est appliqué sur site. Le bardage faux claire-voie vertical de Piveteau, autoclave classe 4, est posé mais pas au droit des sangles. Le placo est posé mais pas peint. Les menuiseries sont stabilisées par des croix de St André. Dans certains modules, la chape chauffante a déjà été coulée, car cet ouvrage démontable comporte une chape chauffante ! Dans ce cas, le module peut peser jusqu'à 16 tonnes.

Le transport se fait avec une étape à Vincennes, puis les modules sont acheminés just in time un à un, et deux pour la dernière fournée. Une grue télescopique de 300 tonnes les attend pour faire le mur d'enceinte de l'hôpital. De l'autre côté, la crèche de l'hôpital Trousseau donne sur une cour de récréation et un verger où la crèche publique vient se nicher. Une grue aussi gignatesque coûte 10 000 euros la journée, mais si on ne s'en sert que deux jours, le coût est modeste au regard d'une opération d'un million d'euros. 

Pour l'environnement, c'est un régal, la rue n'est bloquée que brièvement, le chantier est silencieux. Les modules ne sont pas très beau à voir emballés, il faut se projeter pour imaginer l'effet final. Mais ce qui compte avant tout, c'est que le transport et le montage ne causent pas de désordres et que les modules ne subissent pas les intempéries. Pour le coup, le temps est clément et c'est tant mieux, y compris pour la sécurité des compagnons. On peut préfabriquer autant qu'on veut, un sol boueux reste boueux. 

Les deux crèches de l'hôpital Trousseau  vont mutualiser la zone de récréation que la mairie va restaurer, ce qui est de bonne guerre. Presque tous les arbres du verger ont été préservés et l'oasis de verdure goûté par patients et soignants se reflètera dans le bardage de la crèche modulaire, tandis que les acrotères émousseront les contours rectangulaires.

Pour être honnête, ce n'est pas tout à fait la première fois que le modulaire bois remplit, en France, des objectifs de déplaçabilité. Il y a eu des dernières années quelques présentations au Forum Bois Construction, de même que cette crèche sera présentée le vendredi 4 avril au Forum 2019 à Nancy dans le cadre de l'atelier Préfabrication animé par Loïc de Saint Quentin. De toutes façon, avec le modulaire, il faut faire attention de ne pas lire une continuité de progrès. Au départ, il y a le grand Houot, jamais égalé. Plus récemment, le modulaire était tellement à la mode qu'ensuite les liquidations se sont multipliées. Avec un peu de bruit en plus, des charpentiers américains vous auraient fait surgir de terre une crèche en bois en moins de deux avec leurs two by four. La grue de 300 tonnes les ferait bien marrer. 

Pour autant, cette crèche explicite ce que le modulaire peut être à plus large échelle : début des opérations à la fin de l'été, livraison fin mars, coût maîtrisé, souci d'implantation, possibilité de restituer le site tel quel, performance d'isolation RT2012 renforcé (Plan Climat de Paris), démontabilité. On commence par une crèche et on continue avec des ouvrages plus complexes. Cela reste encore, malheureusement, novateur, sur un marché où il est convenu que le modulaire ne se justifie que pour empiler des boîtes à chaussures.  

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