Selvea a orchestré en octobre dernier la pose du "premier bois" pour l'école modulaire de Juvignac, soit à peu près au moment où le groupe Bénéteau a annoncé qu'il jette l'éponge pour ce qui concerne le segment d'activité de la construction modulaire en bois. Tout sépare les deux approches : l'implantation géographique, l'origine artisanale et coopérative du Bâtiment de Selvea versus l'investissement industriel, mais aussi une démarche écologique suivie et enfin une certaine façon de communiquer.
Quand BH a été lancé en 2009, comblant le vide laissé par Houot, le démarche industrielle a été masquée comme s'il s'agissait de quelque chose de révolutionnaire. Une forme de présentation technique a finalement été faite en avril dernier au Forum Bois Construction de Lyon, par Cyril Paquiet et l'ingénieur Gaëtan Genès. Autant qu' l'on puisse en juger, le concept constructif d'ailleurs compatible avec le toujours provisoire DTU 31.2 restait assez courant. On ne voit pas dans ce nouvel épisode de la construction modulaire en bois le fruit d'une véritable innovation sur le plan de la conception, de la fabrication ou de la mise en oeuvre. Ce qui n'est d'ailleurs pas étonnant dans le sens où tout le monde dans la filière bois a tourné le dos à l'approche modulaire bois, même aujourd'hui, ce n'est pas une priorité de recherche. On a déjà du mal à standardiser l'offre de bois d'oeuvre, alors imaginez un peu, standardiser des volumes...
BH a communiqué au fil des années par le biais des contrats décrochés et des réalisations achevées, et sa démarche a secoué le cocotier. Les acteurs du modulaire bois ont émergé un peu partout et les grandes entreprises de charpente comme CMB, Cruard, Ossabois et d'autres on vite fait de montrer qu'elles étaient capable de rivaliser avec BH. L'offre a créé en quelque sorte un marché, notamment celui des logements étudiants, et plus récemment celui des établissements scolaire à délai réduit ou contexte complexe. Le CNDB a organisé l'un de ses colloques sur le sujet du modulaire, puis le modulaire a fait l'objet d'un atelier thématique lors du Forum Bois Construction de Lyon, mais aussi au Forum de Garmisch en décembre 2015. BH a vraiment contribué à créer une dynamique, même si il y a eu pas mal de casse en route depuis 2009 : c'est que le modulaire est la coqueluche des architectes, mais que la performance économique n'est pas toujours au rendez-vous et, encore une fois, cette approche constructive mériterait que l'on s'y penche sérieusement et en innovant vraiment.
Du côté de Selvea, tout se passe un peu autrement. Une coopérative GECCO, dont émerge un acteur Selvea et son entrepreneur Sylvain Fourel, ingénieur génie productique INSA Lyon, qui veut faire sortir l'étape de fabrication de son stade artisanal. Pas de cavalerie mais quelques chantiers un peu spectaculaires comme celui sur les pistes de l'aéroport de Lyon, ou bien des kiosques ou objets un peu originaux qui dénotent chaque fois une certaine griffe. Ce que montre à nouveau le projet de Juvignac, du moins dans les plans puisqu'il ne sera livré que pour la rentrée prochaine. Pour l'heure, les écoliers sont encore hébergés dans des "préfabriqués de type Algeco". Sylvain Fourel et son équipe semblent avoir compris qu'il vaut mieux communiquer sur des opérations de ce type, à moins que, tout simplement, ce soit le positionnement imposé par l'outil de production.
Le projet mérite communication par les temps qui courent, avec une enveloppe de près de 9 millions d'euros clé en main, pour une opération de 157 modules pour 3800 m2 de bâtiments, 16 salles de classe, 2 réfectoires etc. L'approche du groupe scoalire baptisé Nelson Mandela est simple, de plain-pied, en U autour d'une cour, avec un large préau en bois par lequel l'architecte Stéphane Goasmat (30) fait oublier la modularité. Un architecte faussement "local" puisque enrichi d'une expérience assez longue en Chine, que trahit sans doute son maniement colonial de l'ombre portée. Ce qui frappe également dans ce projet, c'est cette équipe bois avec, outre Selvea, Gecco, le BE structure Altea Bois, ainsi que SBC et Mobbe.
Pour le volet technique, on sait que Selvea travaille sur Dietrich's, privilégie l'isolation par ouate de cellulose et la fibre de bois, la préfabrication complète (ce qui va un peu de soi). Apparemment, il n'y a pas d'interposition d'un lieu d'assemblage final proche du chantier. Ce qui complète l'intérêt de l'approche, c'est la prise en compte de la re-démontabilité. Le dossier de presse précise : "Grâce à cette modularité étudiée à la conception, les salles de classe situées au sud du groupe scolaire pourront être déplacées dans une autre école sans transformer l’architecture ni affecter le fonctionnement du groupe scolaire." Ce ne sont pas là des mots en l'air puisque Gecco et Selvea ont déjà prouvé par le passé qu'ils étaient en mesure de la faire concrètement, sur un précédent projet.
Jusqu'à présent, le groupe scolaire d'urgence est l'un des principaux créneaux du modulaire bois en France, avec le logement étudiant. Le lotissement semble avoir tout compte fait connu un succès moindre. Malgré le retrait annoncé de BH, des capacités et un savoir-faire existent en France pour aborder correctement le marché de l'hébergement d'urgence. Sans doute manque-t-il encore une volonté de la filière de porter cette activité et de développer la recherche dans ce domaine. Le modulaire est toujours considéré comme une sorte de pis-aller, et le passé des "préfabriqués", cumulé au passé lointain des baraquements, y contribue sans doute. Mais d'un autre côté, on tient là l'un des modes constructifs en bois qui mobilise le plus les architectes.