"Les arbres ne votent pas à droite"

Source:
Fordaq JT
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En cette période électorale qui se moque bien et de l'écologie, et de la nature, et a fortiori de la forêt, voici que la traduction d'un livre allemand déboule et avec lui le phénomène Wohlleben. Côté pile, la forêt devient un centre d'intérêt passionnant pour les nuls et notamment les nuls urbains. Côté face, attention ! Les idées sylvicoles de Wohlleben sont plus radicales encore que la certification FSC. La vie secrète des arbres n'aura plus de secret mais la tolérance du grand public vis-à-vis de l'exploitation des forêts ne va pas forcément croître.

Peter Wohlleben, c'est un peu comme si un agent ONF réfractaire avait été embauché par une commune forestière pour y pratiquer ce que l'ONF ne veut pas faire, et réussit à tout point de vue. Car il ne s'agit pas d'un penseur écologique, d'un intellectuel citadin, mais d'un praticien de la forêt. Doublé d'un narrateur tellement talentueux qu'on se demande s'il écrit ses livres tout seul. 

La vie secrète des arbres n'est pas un traité de sylviculture. Le gros de ce gros livre, c'est de la vulgarisation botanique, très bien écrite, de quoi susciter des vocations ! S'ajoute surtout en première partie des développements un peu osés mais très vendeurs sur la représentation des forêts comme organismes pensants, communiquant d'un arbre à l'autre par les rhizomes, avec des racines qui fonctionnent comme des neurones...

Cela ne donne bien sûr pas très envie d'abattre un arbre, ni de faire de la monoculture de Douglas. Il n'empêche que Wohlleben montre les bienfaits économiques et sociaux de sa démarche, qui conduit par exemple à réserver une partie de la forêt pour en faire un funérarium, ce dernier permettant de financer la non exploitation des arbres. 

La vie secrète des arbres, comme le rappelle Libération, s'est déjà vendu à 700 000 exemplaires en Allemagne, l'ouvrage est traduit en chinois, en portugais, en français... Ce n'est pas un phénomène allemand, cela risque de devenir un phénomène mondial, il va falloir que la filière bois vive avec. En commençant par prendre le bon, c'est-à-dire l'intérêt que Wohlleben sait susciter pour ce milieu, comme personne jusqu'ici. Pour le reste, cela relaye une tendance lourde de l'époque, allant vers la reconnaissance des animaux et maintenant des plantes comme organismes vivants disposant de droits. 

Et que se passe-t-il si l'on suit Wohlleben, en termes de filière ? Cela mène tout droit à la conférence de presse de la filière béton à l'occasion du salon Bau, expliquant que le développement du bois construction en Allemagne menace les arbres. Donc, les adversaires du bois construction vont se découvrir une passion pour Wohlleben. Mais cela revient à tordre les propos de l'auteur, qui dit dans Libération, par exemple : "Plus une forêt est saine, plus elle produit de bois, et de plus grande valeur. Notre municipalité perdait 75 000 euros par an, elle en gagne désormais 300 000 à 500 000". Quand on s'adresse aux sentiments comme ça...

Les éditeurs ont placé la barre haut, avec un premier tirage de 25.000 exemplaires plus une première réimpression du même ordre avant même la sortie, et une seconde réimpression imminente de 20 000. Après deux semaines de ventes, le seuil de 10 000 exemplaires a été franchi

Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres. Traduit de l'allemand par Corinne Tresca. Les Arènes, 272 pp, 20,90 euros

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